Yann Rocq

Procrastinauteur et vidéaste intermittent

Crénom de nom

Je suis un handicapé patronymique.

Pas comme le gars qui doit dissimuler son identité à sa première date parce qu’il s’appelle Alphonse Mornecouille.

Plutôt le genre à posséder un nom que 99 % de la population n’arrive pas à orthographier correctement, alors qu’il ne contient que quatre lettres. J’ai beau l’épeler le plus lentement possible quand on me le demande, ça ressemble toujours à ça : « R… O… C… Q, non, vous l’avez pas ».

Depuis que je sais lire, aucune variante ne m’a été épargnée : Rock, Roch, Roc, Rocques… le concierge de mon ancien immeuble a même collé l’étiquette « Rocco » sur ma boite aux lettres. Sans doute un hommage inconscient aux films qu’il regardait barricadé dans sa loge. Et je ne parle pas de « Rocco et ses frères ».

Si les gens investissaient un millième de la créativité qu’ils consacrent à l’écorchage de mon nom dans la lutte contre la faim dans le monde, l’obésité serait un enjeu de santé publique au Burundi.

Personne ne sait mieux que moi combien il est difficile de se faire un nom. Chaque fois que je donne mon identité à une administration, je me sens comme un boxeur défendant son titre. À la frustrante différence que je n’ai pas le droit de frapper. Quand j’ai inscrit mon nom sur ma carte à la bibliothèque, le préposé m’a demandé : « Vous êtes sûr ? »

Franchement, je commence à douter.

Et s’il n’y avait que mon nom de famille…

Lorsque, par miracle, quelqu’un arrive à l’écrire correctement, c’est mon prénom qu’il assassine. Pourtant, il n’y a que trois lettres différentes dans « Yann ». Une de moins que dans « Rocq ».

La palme revient à Pharmaprix qui honore chacun de ses courriels Optimum par un flamboyant « Bonjour Yumn ». Une déformation d’autant plus troublante que j’ai rempli moi-même le formulaire d’adhésion par Internet, sans l’influence d’aucune substance.

J’ai deux explications : soit Pharmaprix est victime d’un bogue qui l’oblige à faire ressaisir les noms de ses clients à la main par d’anciens employés de chez Starbuck, soit leur système dispose d’une intelligence artificielle sophistiquée, qui égale la stupidité humaine.

J’ai l’air de me plaindre, mais j’ai appris à vivre avec mon handicap. Si j’écris ce billet, c’est uniquement pour que les gens tombent sur cette page en cherchant mon nom avec la mauvaise orthographe sur Google. D’ailleurs, la compagnie a la réputation d’imposer des tests de recrutement d’une extrême complexité à ses candidats. Je vais leur suggérer une nouvelle épreuve dont la réponse tient en huit lettres.

Posté le 12 avril 2016

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