Yann Rocq

Procrastinauteur et vidéaste intermittent

Résurrection

Mesdames et Messieurs,

Je vous souhaite la bienvenue à la soirée d’ouverture de la première conférence internationale des professionnels de la résurrection.

J’aimerais commencer par saluer quelques ressuscités de la première heure qui nous font l’honneur d’être parmi nous ce soir : monsieur Lénine, monsieur Mao Zedong et monsieur Hô Chi Minh. L’étude des momies a été un élément déterminant dans la recherche résurrectionnelle, et il est probable que nous n’en serions pas où nous en sommes aujourd’hui sans la coutume des régimes communistes d’embaumer leurs dirigeants. J’en profite pour vous transmettre les salutations de Ramsès II. Il aurait adoré être parmi nous, mais il est présentement très occupé par le tournage du film « Le retour du retour du retour de la momie ».

C’est un plaisir de voir autant de collègues réunis ici ce soir. Depuis que nous avons réussi à rendre la résurrection mainstream, la face du monde a complètement changé : les suicidaires ne sont plus pris au sérieux, les débats sur la peine de mort n’ont plus lieu d’être, et les terroristes font des dépressions nerveuses. Tous ces bouleversements n’ont pas encore été clairement analysés. Il était vraiment nécessaire que nous nous réunissions pour discuter ensemble de l’avenir de notre profession.

Pour le moment, notre action semble certes très appréciée par le grand public. Selon un récent sondage Léger Marketing — Revival magazine, 98 % des sondés disent qu’ils préfèrent être vivants que morts. De nombreuses personnes font appel à nos services pour retrouver la douce présence d’un être cher trop vite disparu, ou simplement pour lui demander de comptes.

Par ailleurs, les conséquences de nos actions ne sont pas seulement d’ordre personnel, mais également artistique. Grâce à nous, Gustave Flaubert a fini son roman « Bouvard et Pécuchet », Franz Kafka a terminé « Le château », et j’ai eu la chance de lire le tome 2 des « 120 journées de Sodome », que le marquis de Sade lancera la semaine prochaine. Je vais pas vous vendre le punch, mais je peux vous dire que ça torche « 50 nuances de Grey ».

Évidemment toute résurrection peut avoir son côté obscur. On se souvient encore de la réaction très négative de Walt Disney lorsqu’il a appris que Miley Cirus avait joué dans une série produite par sa compagnie. Et ceci n’est rien à côté de la rage de Victor Hugo quand il a découvert ce que la compagnie de Walt Disney a fait de « Notre Dame de Paris ».

On peut également regretter que malgré le retour de Kurt Kobain, le dernier album de Nirvana soit d’une nullité consternante, digne de convaincre le plus grand de ses fans d’adhérer à la NRA.

Ces quelques échecs ne doivent cependant pas faire oublier notre plus grande réalisation : grâce au témoignage de nombreuses personnes que nous avons ressuscitées, nous savons enfin ce qui se passe vraiment après la mort. Le fait qu’aucune d’entre elles n’ait hâte d’y retourner nous indique d’ailleurs que ce n’est pas vraiment le fun, contrairement à ce qu’essayent de nous faire croire bon nombre de religions.

À propos de religions, nous organisons demain une table ronde sur la stratégie à adopter face aux attaques de plus en plus fréquentes que nous subissons de l’Église catholique. Le pape lui-même condamne notre activité au motif qu’elle est contre nature, mais nous savons tous que la vraie raison est qu’il est vexé que, grâce à nous, des centaines de milliers de personnes sont ressuscitées, alors que Jésus n’est toujours pas revenu. Personnellement, je pense que nous devrions juste nous montrer patients. Même si ça lui a pris quelques siècles, l’Église a quand même fini par réhabiliter Galilée et condamné les prêtres pédophiles.

Plus inquiétant, le lobby des pompes funèbre se sent de plus en plus menacé par notre concurrence, et fait pression sur le gouvernement en prétendant que de nombreux ressuscités attaquent les enfants pour leur dévorer le foie. Une accusation qui n’était pas sans fondement quand nous maitrisions encore mal le procédé, mais qui n’est plus d’actualité, ou presque.

Il nous faudra également compenser la mauvaise presse dont nous avons été victimes, depuis qu’une enquête a révélé que chacune des résurrections que nous réalisons nécessite le sacrifice de 280 chatons, qui périssent dans d’atroces souffrances. Il existe une méthode plus éthique qui consisterait à remplacer les chatons par des caquistes, mais nous avons peur d’être rapidement en rupture de stock.

D’autres questions morales se posent à notre profession. Par exemple, est-ce que toutes les personnes méritent qu’on les ressuscite ? Je répondrais non pour les distributeurs de Publisac, mais c’est très subjectif.

Notre plus gros défi reste cependant le problème de surpopulation généré par notre activité. Depuis cinq ans que la résurrection est maitrisée, la population mondiale a grandi deux fois plus vite que prévu. Plusieurs pistes sont à l’étude pour régler ce problème. L’une d’elles serait d’augmenter considérablement le prix d’une résurrection. Cela limiterait notre clientèle, mais on se rattraperait en faisant une grosse marge, comme la SAQ et ses bouteilles de vin à 20 $ minimum. Je sais que ça peut paraître cruel envers les pauvres, mais est-ce que ça vaut vraiment la peine de revenir à la vie quand on a même pas de quoi se payer une Porsche ?

Vous aurez l’occasion de débattre de ce sujet et de bien d’autres durant cette fin de semaine. J’espère que vous apprécierez les nombreuses présentations que nous vous avons préparées, qui couvrent tous les secteurs de notre jeune industrie. Je vous donne quelques titres en vrac :

« Comment rédiger un faire-part de résurrection »

« Peut-on encore parler de mort tragique ? »

« La réincarnation : pour ou contre ? »

« Résurrection et héritage : le casse-tête »

« Quel avenir professionnel pour les ressuscités ? »

« Enseigner les nouvelles technologies à un Viking »

« La mort, cette connue »

Je ne vais pas vous retenir plus longtemps. Je sais que vous avez hâte d’attaquer le buffet. Donc, je vous souhaite une excellente soirée. N’hésitez pas à abuser du bar à héroïne. On a de quoi vous ressusciter sur place en cas d’overdose.

Merci, bonne soirée !

Posté le 22 septembre 2013

Partager

© 2021 Yann Rocq.